« Le 1er avril 2004, Pascal Delabouglise et moi entrions dans ce que nous avions nommé micadanses, sans majuscule et plurielles, puisque nous voulions accueillir toutes les danses sans distinction ni de provenances ni de niveaux… Symboliquement, nous désirions que les studios soient d’ores et déjà occupés dès le premier jour, ainsi Christian Bourigault et compagnie étaient donc là, en répétition, dans le grand studio qui allait peu après être baptisé May B. Dix ans plus tard, Maguy Marin y transmettait la même pièce pour les Talents danse ADAMI. Et dix encore plus tard, nous éditons un livre consacré à ce chef-d’œuvre.
Ce jour, nous n’avions que notre impression émerveillée d’espace, notre vive envie, notre étonnement sans fin, mais pas une chaise ni un bureau, un ordinateur, un téléphone ou une armoire. Il flottait aussi le sentiment d’une continuité préservée, d’un site consacré à la danse qui perdurait malgré tout, après le Théâtre contemporain de la danse et le Centre national de la danse, et, de l’autre côté de la rue, pour la première fois ajouté à la même structure, le studio du Jeune Ballet de France. L’incrédulité presque devant le regroupement au centre de Paris, dans le Marais, de ces lieux heureusement vides, maintenant emplis d’espoir.
Depuis six années existait le festival Faits d’hiver (première édition janvier-février 1999), et depuis trois, l’Association pour le Développement de la Danse à Paris qui avait été créée pour gérer le festival, devenu itinérant. Soudainement, tout changeait, de taille, d’enjeu et de responsabilité. Nos tutelles (Ville de Paris et DRAC Ile-de-France) avaient été faciles à convaincre mais il fallait maintenant être à la hauteur de la situation pour gérer avec un budget réduit, les réalités du terrain : l’architecture comme les injonctions de sécurité allaient prendre une place insoupçonnée. En partant le CND avait bien laissé quelques tapis de danse usagés. La Cité des arts en la personne de madame Brunault, présidente de la Fondation et de son régisseur général, Monsieur Pommier, ex sapeur pompier de Paris, nous a pris son aile en nous rendant une infinité de petits services bienveillants. Les JBF partis depuis plusieurs années avaient malgré tout laissé en héritage aux JMF, nos voisins du dessus, quelques matériels techniques presque antiques mais qui ont rendu de fiers services encore plusieurs années.
Néanmoins, ce que nous désirions le plus, c’était l’ouverture, au sens le plus large, qui s’est rapidement avérée un moteur passionnant, déroutant, exigeant. Nous venions d’ouvrir une vanne dont nous ne mesurions ni la puissance, ni l’infinie richesse. Venaient dès lors à nous, ce que le monde chorégraphique compte de projets, d’envies, de savoirs, d’histoires et d’histoire, de besoins, de joie, de rancune, d’attente, d’espoir et d’incompréhension. Ce qui fait la vie. »
Christophe Martin
« Nous étions donc installés, certes assez sommairement, en ces murs de la rue Geoffroy l’Asnier. Comme glissés dans une chaussure un peu trop large. Il restait néanmoins à faire officiellement acte de présence. Le ruban devait être coupé, marquant le changement de projet (adieu CN D installé dès lors à Pantin) et de statut (une simple association) et, aussi, signifier l’adoubement de notre principal soutien : la Ville de Paris. Doucement est née l’idée d’associer une cérémonie d’ouverture (inévitable en année olympique…) et une conférence de presse sur, je cite, « La politique de la Ville de Paris en faveur de la danse ». Ce qui explique les invités du 25 octobre 2004 : Christophe Girard, adjoint au maire chargé de la culture, Hélène Font, directrice des affaires culturelles, Gérard Violette, directeur du Théâtre de la Ville, et Carolyn Carlson, chorégraphe et danseuse bien sûr, mais aussi directrice de l’Atelier de Paris. Micadanses apparaissait donc comme un allié évident au projet de la grande dame du bois de Vincennes, situé dans le XIIe arrondissement, qui en 1999 s’était installée à la Cartoucherie et qui venait de lancer cette année-là, 2004, son festival June Events. Bref, pour nous, un grand raout, nécessaire et apeurant, les civilités et les mondanités semblant recouvrir quelque danger… Néanmoins, cette soirée était une chance.
L’organisation, dans mon souvenir, fut assez poussive et source de découvertes : service du protocole, organisation du buffet (j’ai retrouvé la liste du matériel amené par la Ville de Paris, des cendriers étaient prévus pour les fumeurs d’alors…), allers-retours innombrables pour stabiliser la rédaction des documents etc.
18h : accueil des invités pour la conférence, puis ouverture du buffet et lancement des « Impromptus chorégraphiques ». Là encore, ma mémoire flanche ; je retrouve pourtant la liste des intervenants bien symbolique de notre volonté de diversité et du ton déjà assez mordant, le tout disséminé dans l’ensemble des studios du n°15 :
« Les présentations dansées de ce soir sont de courts éclats dédiés à la joie du moment. Ces artistes sont les invités de micadanses, des résidents, des « répéteurs » (sic), des pédagogues. Sans souci d’étiquette, sans tambour ni trompette, pour le plaisir d’offrir.»
18h30 : Chant des signes
Association Chant danse des sourds
Avec Philippe Lhuillier
19h : improvisations What you want ? avec phonographe
avec Thomas Lebrun/compagnie Illico
19h30 : extraits de Lobotomix
avec Veronica Vallecillo/compagnie Anouchka Vallon
20h : Gravitations
avec Ghislaine Avan et Alexis Morel
20h30 : danses Raks sharki (style égyptien)
avec Amal Ménissier, Salomé, Ibtisam, Shamsa
21h : tango
Association Atlantisse / Carolina Boselli
Près de 400 invités, et pas mal de presse. Plutôt un succès. Ce dont je me souviens et qui pour moi avait une réelle valeur, c’était la courte visite de Christian Tamet, l’initiateur et directeur du Théâtre Contemporain de la Danse, qui avait inauguré ces lieux au cœur de Paris. Le TCD créé en 1984 s’était installé là en 1987. Oui, il passait le relais. Nous étions légitimes. »
Christophe Martin
« Pour une raison pratique évidente, il s’agissait de distinguer les studios qui selon le plan d’évacuation brillaient par l’originalité de leur dénomination. Pour le n°15 de la rue, « Grande salle », « salle A », « salle B » pour un espace bureau, stockage, loges… À noter quand même que le tout petit à droite de l’escalier, « Salle C », aujourd’hui affublé d’un champ d’œillets permanent, ne faisait pas partie du lot. Il était occupé par Roland Auzet, musicien, déjà bien connu. Cependant, cet espace rejoindra ses congénères trois ans après, soit en 2007. Ce qui apparaît somme toute cohérent, puisqu’il possède un plancher de danse qui avait servi de test pour les futurs studios du CN D à Pantin. Pour le n°16, en face, il endossait le patronyme de « Ville de Paris », car c’est elle qui l’avait financé du temps du Théâtre contemporain de la danse, dont nous avons déjà parlé. Quant au n°20, il restait marqué lui aussi par son histoire, puisqu’il répondait vaillamment à l’intitulé « ex-JBF ». Entendre Jeune Ballet de France. Structure associée aux Jeunesses Musicales de France 1, qui elles sont toujours nos voisines du dessus, et grande pourvoyeuse à nos débuts, puisque nous avions notamment récupéré du matériel technique de cette organisation dissoute. Certains flycases et projecteurs témoignent toujours de cette provenance, arborant une inscription au pochoir blanc, un peu passée aujourd’hui.
Bref, nous avons commencé à chercher des noms de baptême. Et comme cet exercice fait sourire — parfois jaune — tous les parents, nous naviguions sur des eaux troubles qui se sont avérées sources de malentendus et de pressions surprenantes ! À l’évocation de notre démarche, que nous voulions partager, chacun avait une idée, une proposition, un ou une incontournable, danseur, danseuse ou chorégraphe. Notre idée de prendre plutôt des personnes qui n’étaient pas connues s’effritait chaque jour. Le premier président de l’association, Jean Guizerix — un grand merci à son engagement dans la création de l’ADDP (officiellement le 31 juillet 2001), acceptant au pied levé un matin de juin, un samedi tôt, le dérangeant depuis une cabine téléphonique en Bretagne, une responsabilité qui quoiqu’on en dise engage — militait pour ne pas oublier les références de la danse classique. Certes. D’autres insistaient pour des figures de la danse moderne. Pourquoi pas. Un studio Jacqueline Robinson avait toute sa pertinence. D’autres égrenaient les nombreuses stars de la jeune danse française toujours en activité. Nous entendîmes aussi quelques conseils avisés, peu insistants, de notre principal soutien… Un air de Clochemerle 2 commençait à poindre.
Mais comme souvent, Pascal Delabouglise proposa une piste limpide qui s’avéra fructueuse. En moins d’une heure, nous avions terminé. Car soudain, en se déplaçant un peu, nous changions de perspective. Ces studios de danse allaient devenir des lieux-dits. Signés en effet par un chorégraphe mais porteur d’un imaginaire, d’une histoire, d’une épaisseur de sensations. Cela rejoignait une revendication essentielle du festival Faits d’hiver de donner à voir d’abord et avant tout des œuvres. Ainsi, les studios porteraient fièrement des titres de chefs-d’œuvres de la danse. Fin des discussions.
Or donc, au n°15, la « Grande salle » devient « May B », la référence de la danse contemporaine française, toujours fringante, infatigable, à voir et à revoir. Bien sûr, derrière Maguy Marin se profilait Beckett et nous ne pouvions qu’entendre, en langage des oiseaux, un may be : peut-être plein d’espoir pour un studio de résidences et de représentations. La « Salle A » endosse le titre d’une pièce phare de Dominique Bagouet, « So schnell », où son écriture ciselée se déploie. La « Salle C » devient, lorsqu’elle arrive dans notre giron, « Nelken », « œillet » en allemand, chorégraphie de Pina Bausch, lieu de la transformation du Paradis en désert… Quant aux loges, bureau etc., c’est Antoine Meyssirel, agent de maintenance, qui demandera que cet espace soit nommé. Il choisira « Casse-Noisette ». Pour le n°16, traversons l’Atlantique avec « Biped », une pièce de Cunningham qui allie complexité déployée et utilisation des nouvelles technologies, comme on dit, magnifique et définitive.
Pour le n°20, double entrée, Nijinska et Angelin Preljocaj : « Noces », affaires de familles, tiens tiens, d’amour et de poids social…
Une remarque pour finir, notre plancher extérieur se nomme « Bolero »… l’orchestration n’en n’est pas encore parfaite, on y travaille.
Des noms et des couleurs. Ou comment tout devient symbolique. Choisir, c’est mourir un peu. »
Christophe Martin
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« Un projet est un géant de papier qui s’effrite et se transforme dès la mise en œuvre réelle… Bien entendu, nous voulions demeurer fidèle à ce qui semblait l’essence de notre Mission Capitale Danses et entonner notre petite musique personnelle. Pourtant choisir tel ou telle qui devra enseigner, quoi, comment, à quelle régularité, en réponse à un manque supposé, pour un type de danseur… impose d’emblée la plus grande humilité. Non seulement il faut s’assurer de la qualité de l’enseignement mais aussi de sa possible cohabitation dans cet immense puzzle que représente l’occupation de cinq studios, au-delà de l’offre parisienne.
D’ailleurs, la pratique de la danse n’échappe pas à la mode ou à des évolutions pédagogiques significatives. Mais nous arrivions à une période où les studios de danse privés fermaient les uns après les autres, victimes collatérales de l’immobilier florissant. Un studio est avant tout un espace vide, immense au regard des surfaces parisiennes disponibles. Petit détail, c’est pour cette raison de voracité spatiale que nous avons pu acheter le piano droit de May B, initialement sis rue Crespin du Gast, au studio Cré-Ange.
Ainsi, une architecture sensible et mouvante s’est peu à peu imposée comme structure porteuse de notre offre déjà correctement définie dès le début de saison 2004 /2005. Plus que de simplement raisonner en termes de cours, stages ou ateliers, nous travaillions à des projets pédagogiques, entendus comme liés à une temporalité elle-même rattachée à l’évolution du professeur, résultante de son expérience, pratique, parcours etc. Concrètement, tel stage se conçoit tous les quinze jours, tel autre tous les trois mois, tel cours tous les jours… Untel pourra se lancer dans la cour des grands, unetelle se reconvertir etc. Et, bien sûr, ensuite, que programme directement micadanses ? Quel projet fait l’objet d’une mise à disposition gratuite ou payante ? Cette alchimie si particulière va s’affiner au fur et à mesure pour déboucher aujourd’hui sur une proposition d’ensemble cohérente, riche et variée (merci Pascal, Emerentienne et Adélaïde).
Notre première saison apparaît aujourd’hui symbolique des enjeux comme avivés par notre venue dans ce marché, dans tous les sens du terme, de l’offre pédagogique. Le 8 novembre 2004, à 19h, studio May B, débute le cours de composition chorégraphique de Christine Gérard. Manière de repositionner cette pratique de la danse moderne allemande qui associe improvisation et composition, dans un rapport très fin avec le sensible et le mental. La Dame poursuit aujourd’hui son enseignement. Merci. Elle sera en fait la première étape d’un accueil volontaire de certaines figures référentes que nous pouvons nommer des maîtres. Peter Goss nous rejoint peu après, suivi de Nadejda Loujine (danse de caractère), Shiro Daïmon (danse japonaise), Hervé Diasnas ou encore plus récemment Wayne Byars.
L’Entraînement régulier du danseur se lance, un peu effronté, construit au départ sur deux semaines avec le même professeur, et immédiatement fort suivi par ce qui sera le premier terreau de nos adhérents que nous voulions nombreux ! Durant une première période, nous avons lancé des soirées d’improvisation, dans un souci de regroupement de différentes communautés d’interprètes. Le 18 décembre 2004, excusez du peu, Christine Bastin et puis en décembre, Lisa Nelson s’y collent ! S’affirment aussi d’emblée des pratiques de souffle, Feldenkrais, yoga… La venue alors de certains professeurs ou styles de danse se déroule presque miraculeusement, tel Tony rencontré dans la rue Geoffroy l’Asnier et tout jeune hip-hopeur, se lançant dès lors dans une aventure nouvelle : partager.
Deux autres exemples de projets pédagogiques emblématiques : Underskin et Magma. Le premier lancé en début d’année 2005, par Nicolas Rebeschini, trouvera sa conclusion le 16 juin 2006 dans une soirée baptisée l’Ultima. Processus développant à la fois des danses, des films, des expositions, un livret, il se nomme à juste titre Laboratoire interdisciplinaire, et regroupera toute une tribu fidèle et mouvante. Magma de Stéphane Fratti est pour sa part exemplaire aussi dans sa mise en œuvre prudente, têtue, et son résultat surprenant, presqu’incroyable. Imaginez une boule composée de 26 corps descendant les escaliers qui mènent à May B, tournant, agitée, sans pause, aussi lente qu’inéluctable !
Si micadanses est un lieu pédagogue, c’est parce qu’il permet et non promet une place au divers, au petit, au renommé, au débutant comme au pro, au réel, aux corps quels qu’ils soient, à l’apprentissage, au respect du métier, aux savoir-faire, à l’infini richesse du savoir-danser. »
Christophe Martin
« Résidence, le grand mot ce des dernières années. Surveillée ? Secondaire ? Derrière ce vocable, adapté au milieu culturel, dont l’origine m’est inconnue, qui sent bon la technicité ou l’ingénierie culturelle, se cache toute une variété de significations, d’implications, d’échanges, d’argent, ou pas, de prémisses, ou pas. Logiquement ce lieu est habituel et fixe… Sans doute est-ce plutôt la notion d’habiter qui s’impose, habiter même philosophiquement : être là, en toute conscience, dans son entièreté, et donc disponible au nouveau. Prêt à regarder. En soi. D’autres corps. Donc, un studio est un simple espace qui se doit d’accueillir tout le monde, n’importe quel corps, danse ou créateur. Une sorte de no man’s land qui proposerait une trêve infinie. « Le studio n’est pas le lieu d’u mystère crypté, d’une révélation surgissant des fonds. Il est, à nu, sobre, innervé, le fond des fonds, pour lequel gloire ou lisère ne prête pas à confusion. On y entre (à peine) et déjà s’effacent les moindres de nos illusions… ».
De plus, évidemment, la résidence est un temps, apparemment toujours trop court. Il y aurait toujours à refaire, reprendre, relancer. C’est-à-dire des temps d’oubli et d’effacement.
L’arrivée à micadanses a permis quelques expériences passionnantes puisque nous pouvions, bras ouverts, offrir ce que Michel Serres précise, de la danse : dans l’espace et par le temps.
Ce qui se déroule aujourd’hui n’est pas moindre mais plus prévisible car l’occupation des studios a été exponentielle voire parfois effrénée. Les premiers temps un studio et un seul accueillait les résidences, Noces, où, près de nos bureaux, nous croisions souvent les interprètes et autres chorégraphes. Où nous constations aussi les nombreuses heures inoccupées, en friche, ce qui n’est pas surprenant puisque le studio blanc existe…
Je retiendrais trois expériences – résidences. Toutes centrées sur des personnalités en recherche où la danse a servi de catalyseur, d’associée exigeante, de défi. Et ce pendant une année complète !
Johan Amselem est sans doute celui qui se revendiquait à bon escient danseur et chorégraphe dont la recherche nécessitait, à cette époque, une mise au point, un moment réflexif sur le quotidien du danseur, sa pratique, sur ce qui l’intéressait et le rebutait dans la danse contemporaine « classique ». A quoi je tiens, créé en ballade à l’intérieur et l’extérieur de micadanses, est une suite de sept solos dont le point de départ est la même question : quels sont tes rituels quotidiens pour aller bien ? Ce passage l’a sans doute conduit à choisir ensuite de travailler principalement à des danses participatives, à destination d’interprètes en situation de handicap, ou d’amateurs.
Le cas Frédéric Danos est tout autre. Plasticien, vidéaste, il croise la danse contemporaine, l’interroge comme elle le titille. Il résume parfaitement la situation lorsqu’il prépare son départ : « Je ne suis pas danseur. Je me suis dit que je pouvais faire comme si j’avais une pratique éprouvée de la danse. Depuis le 14 octobre 2004, et pour un an, micadanses me prête chaque semaine un studio de répétition pour y danser une heure. J’y vais dans une approche domestique de la chose, une chorégraphie domestique. Cette résidence se terminera ce lundi 31 octobre. J’y présenterai non pas les résultats mais l’état des lieux d’un travail (Y’a une route). » Il proposera également une jam baston, ainsi que des rendez-vous Immortel/e/s où il partagera l’espace du studio : « je ne suis pas danseur / lui ou elle l’est / je l’invite / chacun va travailler avec moi durant une semaine, sans hiérarchie / 2 pratiques sur un même plateau [Micadanses, Paris] / c’est un rapport / une forme d’environ 30 mn sera présentée chaque semaine ». Avec Mickaël Phelippeau 3 , avec Virginie Thomas 4, avec François Chaignaud 5, avec Constantin Alexandrakis 6 , avec Cécilia Bengolea 7.
Puissant comme l’éclair, Frédéric Danos poursuivra sa route.
Enfin, autre exemple, Eric Arnal-Burtschy. Comme l’indique sa biographie officielle, il « suit un cursus en histoire, philosophie et géopolitique et obtient un master en études européennes avant de s’orienter vers les arts vivants et visuels. Son travail, souvent porté par des recherches sur la physique de l’Univers et un questionnement sur l’humain, est présenté dans de nombreux lieux en Europe et à l’étranger. »
Lui aussi arpente les studios, se dépense, tente, sans souci de résultat. Une sortie de résidence sera officiellement montée, mais elle ne sera qu’une autre expérience, une autre mise en jeu, un pari jusqu’au bout tenu. Il rebondira au Vanves dans des performances plasticiennes et troublantes et poursuivra son chemin original : « désireux d’explorer une autre forme de relation au monde et toujours intéressé par les questions diplomatiques et stratégiques, il est en parallèle officier de réserve dans l’armée française et a participé à l’opération Barkhane au Sahel. Cette expérience a conduit à la création de son dernier spectacle, Why We Fight (…) ».
Décidément, résider n’est pas un état tranquille. Inhabituel. Mouvant. Ces trois personnalités qui ont traversé les débuts de micadanses ont sans aucun doute marqué le lieu, les lieux. Prouvant, s’il en était besoin, qu’un parcours artistique est une évolution sujette aux rebondissements, détours, culs-de-sac et ouvertures. »
Christophe Martin
« Parmi les objets qui marquent jusqu’à aujourd’hui le caractère de micadanses, la contrebasse s’impose d’emblée. Fabriquée de toute pièce par notre tout premier intermittent Sylvain Girves, elle offre un large plateau sur lequel spiritueux, victuailles et autres se partagent. Ce bar, donc, en bois et sur roulettes, assume fièrement ses presque vingt ans d’existence.
Certaine disparition s’avère difficile à combler. En effet, lors de l’installation un beau quart de queue trônait dans Noces… rapidement déménagé, il se glissait à merveille dans le décor un peu dégradé alors mais charmant. Les pianos seront toujours un sujet… Symbole d’une lutte esthétique encore vive… Et je n’évoque pas les barres !
Les sous-sols sont des lieux qui recèlent des surprises. Surtout près d’un fleuve ! Ainsi, au n° 20 de la rue Geoffroy-l’Asnier, sous nos bureaux s’étagent 3 niveaux de caves dont le dernier comblé. Vertige vertical : le sol des villes monte inexorablement. De l’autre côté de la rue, au niveau du plancher de May B, c’est-à-dire à moins quinze mètres, nous serions au niveau carolingien… et juste derrière le gradin se cache une humble chapelle du XVe, enterrée donc, petit espace voûté d’ogives, flanquée d’un couloir peut-être plus ancien. Cœur de Paris, rêve de pierres.
Anecdote : il y a bien longtemps (vous avez compris, je narre…), j’ai effectué un stage au Théâtre Contemporain de la danse, si, si, direction Christian Tamet, bureau au n°15, à l’étage, administration Charles Boulanger que je retrouverais 15 ans plus tard, tiens, comme administrateur itou, lors de notre installation en ces murs, de la Cité internationale des Arts. Il avait traversé la rue.
Plus étrange encore, j’ai dessiné, alors que j’étais en école d’architecture, un bâtiment qui donne sur la place Saint-Paul, en 1983, je pense. Et tous les matins depuis 20 ans, je passe devant, me souvenant parfois que jeune provincial j’avais un peu peiné à situer le Marais, alors beaucoup moins redoré…
Sans aucun doute, proposer un projet artistique ne préjuge pas de ses capacités à comprendre ce que gérer un bâtiment veut dire… Quelques mois après notre installation, première commission de sécurité. Catastrophe et panique à bord. Sans préparation, naïvement exposés, nous nous rendons compte que presque rien ne fonctionne correctement : trappes de désenfumage, système incendie… Et pour cause, une partie de ce système d’alarme avait été déménagé avec le reste du matériel appartenant au CN D. Sueurs froides garanties !
Histoires d’eau. Un chorégraphe en résidence fonce jusqu’à notre bureau, effaré, trois gouttes sur le tapis May B… Une situation qui peut arriver une fois par an. Bien avant, inondation suite à une rupture de canalisation, on marche en bottes en bas, le n°15 faisant penser à une grotte sombre et humide, il n’y a plus d’électricité et pas de peintures pariétales. Elles apparaitront ensuite, auréoles verdâtres, gagnant progressivement, têtues, imperturbables. Et, bien sûr, zones de turbulences réputées au n°20, studio où le ciel, ses nuages et intempéries, tutoient ce qui reste de couverture, plutôt ajourée. Serpillières, seaux n’endiguent pas les courants orageux qui foncent vers le couloir. Sans aucun espoir de dénicher le moindre bigorneaux… pas de pèche à pieds. Tais-toi, écope !
De la perception de l’espace de travail… D’un côté, Katalin Patkaï, paniquée à l’idée de répéter dans So Schnell, la bienveillante Emerentienne prodiguant huiles essentielles et paroles réconfortantes, de l’autre, Hellen Sky, artiste australienne, affirmant que ce studio est le plus beau du monde ! Que des présences magnifiques y sont à l’œuvre, là, profond dans la terre, proche du fleuve et soumis aux bruits des canalisations comme des pulsations sanguines…
Très mauvais souvenir. L’été, chaleur ; le premier festival Xplore en France doit débuter mais dans la cour du 20, l’accès est bloqué par la police. Au dernier étage du bâtiment, un résident de la Cité internationale des arts, décédé, révélé par l’odeur…
Faits d’hiver 2018 et sa plus longue nuit, concerts et installations dans tout le n°15 ; début de soirée pour une « discontrol party » à 19h et enchaînement de DJ sets. On arrête la billetterie à 4h du matin ! Le plus impressionnant, à certains moments, la file d’attente qui serpente sagement jusqu’au bout de la rue et tourne l’angle, indifférente au frimas.
A compléter, évidemment ! »
Christophe Martin